Sorties
Où le corps est contraint. Et en dehors comme au dedans. Me
cernent, m’écrasent. Une histoire de débuts, je me recommence, en
équilibre sur une chaussée obstruée. Où le coup est porté. Tenir ici,
construire des portes de sorties. Sauver ses mains, nos deux seuls
outils. Incarner l’absence, étalé dans le vide. Il faut commencer par
se tenir, se tenir bien accroché. Je ne cesse de diminuer. D’observer
partout autour une foule d’excédés dont la simple présence suffit à
m’augmenter. Ici, je disparais.
Étriqué toujours, sous sa montagne de peau. Pousser les murs des
villes et de son enclos. Traverser malgré tout traverser et la route et
les gouffres les cauchemars que la vie parsème, et semer ça. Quitter
le temps, réaliser la nuit, se servir des pierres des ruines comme
dernières armes. Provoquer le repli des troupes et de leurs reflets.
Enrôlé toujours par cette montagne de rue. En descente encore.
J’avance et trébuche sur un horizon déjà fait. Organisé de toutes
parts, on nous organise. Corps devient sommes de chiffres donc
d’informations. Qu’importe ce qu’il produit pourvu qu’il produise.
Guidé jusqu’à épuisement de ce que l’être humain contient de
ressources. Je glisse, je n’adhère pas.
Cet espace creux à construire, puis à défaire. Tenir ici, construire
ici, partir de là. Des rues empoisonnées par les mots d’un temps
qui n’est plus le nôtre, des mots vomis par des bouches amnésiques.
Une absence, autre absence. Et ce corps à portée de bouts portants.
Une existence collatérale. On exhume les vieux poncifs démocratie
et république pour justifier l’attelage et le déploiement léger de 25
tonnes blindés là où l’on ne veut plus voter. Où l’on guide le client
infantilisé, aligné de parts en parts, tantôt diverti, consolé, agressé,
tantôt conforté ou ignoré. Errer dans cette grande foire rafistolée. Ne
pouvant aller ailleurs, étant contenu ici.
La terre et le cœur tournent, l’un dans l’autre et le vent, l’un dans
l’autre battus. Les problèmes sont les repères, quand partout point
un devenir commissariat. Rejoindre ailleurs, extrait de corps ici. Brisé
au milieu du vacarme soft de l’affairement généralisé, produit par
toutes les attractions dérisoires qu’une ville semblable au modèle sait
autoritairement proposer. Extrait errant. Inclusion et exclusion
participent d’une même entreprise. Perdu dans l’impasse d’un projet
occidental je cherche un abris à ma portée. Puis à défaire, espace
creux corps contraint. Je n’adhère pas.
On attire on soustrait, on enferme ouvertement. On empreinte à
l’excès les pronoms de l’usine. Nos affinités sont politiques. Notre
pouvoir c’est le retrait. Des lignes sont tracées que suivent des êtres
que cadrent des uniformes et des armes. Il faut partir de là. Tenir
juste au dessus pour ne pas tomber définitivement. À l’écart du
monde nous devons exercer notre langue, pour ne pas perdre les
mots qui nous permettent de nommer l’écart et le monde. On tue
sans remords et sans excuses en priorité et des pauvres et des enfants
et. La place est entourée nous sommes au centre et les centres sont
partout. Les rues sont des dispensaires. Aucun sursaut de vie n’est
prévisible.
Et au dedans comme en dehors. La place est prise. Relevez les noms,
les adresses, faites des listes de tout ce qui ne correspond pas au profil
défini par vos soins. Le projet est simple et universel. Il est tout à
fait possible de commercer de clôtures et de pénitents. Faites usage
de gaz, au nom de la liberté. Longue étendue de terre et d’arbres,
ici. Que présage le vent s’il ne laisse pas tranquille les braises encore
vives du feu de notre élan. Longue étendue de temps où mon corps
se dissimule, sous mes pieds les armes enfouies.
On se planque, on dit qu’on est prêt. Contagieux de paralysie, le
présent est à fuir. Le temps se dilate dans l’espace de création, et hors
lorsque que la séparation est rompue. Tu quittes l’organisation dite
logique de ce monde, ses rituels et ses reconnaissances, tenir une
offensive critique, faire consister, faire tenir, obtenir une vérité par
le fait, donner à voir, déserter partout, redistribuer, improviser. Un
ailleurs immédiat. Un langage, des glissements. Le corps ne se déplace
pas, il est déplacé. Il n’est pas le sujet de l’écriture, il est l’objet de
procédures. Ne déplace ni ne fabrique le feu, il l’héberge.
Quelque chose ou quelqu’un me diminue. On envisage casqué
l’allocation des coups. J’entends le courant de tout, l’acoustique des flux,
de l’air. Tout se frotte et passe, fracassant. La distribution des lignes,
des réseaux, du sang dans le corps, j’entends le bruit du temps, le
contenu des contenants, les tensions environnantes, j’entends les
passages incessants, le souffle que produit chaque déplacement, le
souffle du vent et celui des cuivres, la musique des éléments premiers
et celle de ses artifices. Ce n’est pas de la poésie.
Nous nous ennuyons de vos jeux, de leurs parois renforcées. Notre
jeunesse, qu’il disait. A l’ombre du gèle je te sais t’épier de haut en
bas, je te vois élastique comme ça – alors, la nuit se poursuit et nous
patientons demain, nous nous savons acheminé là par l’inaboutissement
d’à peu prêt tout. On dépéris ici on pense le monde au loin,
on fait mine de bien y voir. D’ammoniaque et de poivre au présent,
comment attaquons nous notre corps, comment sommes nous
occupés. Diminués, par les poétiques et non moins létales
compositions pyrotechniques qui nous sont adressées.
Cet espace creux à défaire. Sur lequel on tape se déplace, périmètre
piétinant. Je traverse la pluie, et des faussés, et des marres. Chaque
organe rebondi d’une méthode, fabrique sa danse du temps.
Épuiser cette danse, intérioriser l’en dehors, avancer contre la
marche s’inverser inverser l’en dehors de l’en dedans. Te dire ce genre
de chose écrasé. De la neutralisation des corps en milieu urbain.
Tenir, tenir là. Se ressert autour et le temps et l’espace.
De l’enclave, ou de l’île, tout autour, c’est de l’eau, et dedans, des
torrents, débordés, bouts de terre, et de sang, des pavés, sur des
ruines, et des bords, en dedans, de l’emprise, de l’empire, de l’état,
de l’argent, bouts de chaires, sans pigment, tours de fers, du ciment,
ou des lattes, donnes des cendres, comme des coups, des à-coups,
sans retours., sans recours, ou de luttes, et de mains, tout autour,
c’est de l’eau, comme dedans, où ça tourne, des réseaux, des poteaux,
et des trous, tapes des lignes, ou falaises, de la langue, limitante,
expansive, débordante, des refus, face aux jeux, société, de l’entente,
des accords, tout de don, en service, des bastons, contre soi,
tout autour, un bastion, de dedans, des sorties, sous des eaux,
des frontières, de l’enclave, et des corps, de l’histoire, en patience,
ou des puces, comme des tics, de pouvoir, ou d’ennui, c’est l’état,
les barreaux, c’est létale, et de l’eau. Tout autour, de la langue,
des lambeaux, des morceaux, des contours, des transfo,
des croisements, de silence, et de cris, restes d’os, points de chutes,
de parcours, d’évidences, et d’horaires, permissifs, ton encombre,
de visites, de sorties, ou de cordes, primitives, la gamelle, restriction,
quelques marques, du béton, et des ongles, des nocturnes, enfumés,
tout autour, et des portes, c’est de l’eau, ou de l’île, de l’enclave,
tout autour.
Et de muscles, de têtes et de nerfs, nous sommes faits de récepteurs.
Peut-on encore parler d’action, de marge ou de manœuvre, peut-on
encore prétendre penser tant notre corps nous échappe, tant nous en
sommes privé, privé de ses tissus et de sa magie. Je vis lentement, je
n’ai pas de travail, pas de permis, les loisirs ne m’amusent pas, je ne
réclame pas la sécurité. Débordés, bouts de terre et de sang, brisé au
milieu de communautés qui ne prennent pas. Une noue de solitudes.
La fin n’est jamais la même. Commencer par continuer. Remonter
le cours sec des temps dont on hérite. On va faire simple. La nuit
tombe. Personne ne vient. Les portes sont ouvertes, les vitres étoilées.
La nuit c’est la lune qui nous éclaire. Au petit matin on éteint les
incendies. Les cloportes se cachent de la lumière, rutilants. Je pense
aux cloportes. Tout se frotte et passe. On étouffe démocratiquement.
On répète que ça va. Comme les 268 contaminés enfermés dans le
Diamond princess. Quelque chose de l’air du temps, d’une rencontre
fortuite. Il n’est pas toujours aisé de dissimuler la poussière des
ruines. Fond de teint et fin de règne.
Justin Delareux
Revue Pli, numéro 11