à, pour, avec

Dire à qui j’écris. J’écris à. À Philippe Beck, à Aliette Cosset, à Michel Crozatier, à Anne-Laure L, à Aurelien G. , à Christophe Hanna, à Cécile Mainardi, à Patrick Sainton, à Olivier, à Laurent, à Bertrand, à beaucoup d’autres comme eux, j’écris à (ou avec) celui, Siegfried, dont je viens de recevoir ces lignes, il vit en Allemagne, je lui ai donné, un jour, un polaroid noir trouvé dans la rue d’Assise, il y a entre nous ces mots : «La photographie est noire, mais ça n’est pas un négatif» : «Depuis bientôt 1 an, je n’ai en tout et pour tout qu’une fenêtre pour écrire. Le cadre percé à jour, le châssis d’une fenêtre. Le tout étant de ne pas lâcher prise. À faire le guet. À être de garde. À veiller au flux et reflux du temps qui passe dans le temps qu’il fait. Chemin faisant j’en suis venu à tenir des bulletins étéorologiques sous une hutte en bois, tout en devisant sur le passage des nuages dont Goethe dit qu’il «donne fort à penser». Il en naît un ramassis de phrases dont aucune bouche ne voudrait. À vrai dire j’en suis même à ne plus voir quoi dire. Au pire il ne restera plus qu’à proférer le moindre mot en blanc ou dans le noir pour ne pas avoir à l’inscrire – noir sur blanc. Étrange infirmité que celle d’avoir toujours à tenir en rejet ce que l’on trouve à écrire. De n’écrire que contraint, contre son gré. Sous la dictée. À main forcée à ne pas lâcher prise. Et cette tâche, que trop souvent je me sais à moi seul ne pas être là. C’est un état singulier. D’éveil, mais qui vous laisse vacant. À ne pas être là. En hors-je, via un il. En exil, pour tout dire. Exilé à l’intérieur d’une langue dans laquelle on tente encore d’écrire alors qu’on ne l’entend plus parler autour de soi depuis nombre d’années. Et c’est ainsi qu’avec le temps me vient comme un langage de ventriloque. Je ne dis plus une chose, mais suis tenu d’avoir à me la faire dire alors qu’elle m’ignore et me délaisse sur le devant d’une scène désertée. Et là, donc, je m’y fais parler, soliloque à vide, et tout en sachant avoir pris à tout jamais congé de ma personne pour n’être plus qu’un vacataire.

Altitude zéro, poètes, etcetera : costumes. (extrait)
Java, collection les petits essais, 1997

Jean-Marie Gleize
Revue Pli, numéro 01, 2013

Pli n°1
Écrit
Jean-Marie Gleize