Combien sont tristes les nuits depuis que les histoires ont fuies nos chambres, que les chants se sont retirés. Nous ne connaissons plus de beaux mots à répéter dans le silence des corps plus de belles images à déposer doucement sous nos paupières pour accompagner la nuit qui monte (de tout temps dans le silence des chambres la nuit la tête cherche à se souvenir et la bouche à former baiser ou mot). Depuis longtemps ne rôdent en nous que des bruits et nous nous souvenons de tout mais plus nous nous souvenons plus nous perdons la mémoire. Et chaque nuit, sans l’ivresse de l’alcool qui pour un moment fait silence car nous ne savons plus que parler ou taire. Sans l’alcool qui dissipe, le jour à venir nous est refusé. Et chaque nuit sans ta bouche à baiser et même ce baiser est malade de cette maladie qui est de voir ce qui n’est pas, de voir ce que d’autres ont mis en nous, nous nous agitons. De même que le mauvais danseur qui ne sait plus préparer son geste et comment le ferait-il ? de quelle force en lui ? Et les incidents du jour font un maigre relief à nos nuits car la nuit compte cela, nous comptons dans la nuit ce peu qui fait notre relief et nous nous creusons, affamés, appauvris. Et nous désirons de mourir. Il s’agit de désirer mourir pour qu’accueillir la nuit soit possible. Et dans le silence des chambres le cœur est un chiffon sur quoi souffle le bruit des jours. Comme des insectes piégés tournant du début jusqu’à la fin de leur danse puis d’un nouveau début vers une nouvelle fin tournent en nous ces bruits et forment une ronde car les insectes dans la tête sont eux en nombre infini.
Anna Carlier
Revue Pli, numéro 11