La Révolution est déjà commencée. Rien qu’en vivant tu es au centre d’un complot contre tous les ordres possibles.
Je te vois de toute évidence et depuis toujours placée pour m’attendre, plus importante que le sommeil, devant ma mort – une grande nuit d’écolières.
Le décor était bon, mais nos gestes fermés dans l’embuscade médiocre de l’Histoire, où marquent les morales et les maréchaux de France.
Nous sommes une fin du monde.
Gil cherchait jusqu’au Cap Nord la même impossible vie. Toutes les capitales se ressemblent, « des villes à l’aube derrière une fille seule dans la Salle des pas perdus ».
Serge est de nouveau en prison.
Voici Hervé qui revient d’un très long voyage à la station Michel-Ange Auteuil.
Toi, tu n’es qu’une petite fille qui a connu très vite les divertissements les plus dangereux des hommes.
Je sais bien dans quels bars tu as passé les nuits, et quelles pauvres banalités on t’a données comme des prestiges.
Quant’è bella giovinezza,
Che si fugge tuttavia !
Tu dors toujours en suçant ton pouce à dix-sept ans un quart, comme tu dis mais
« nous avons des corps de grandes personnes. C’est dommage ».
Nous avions cette pureté qui vaut d’aller vers tous les stupéfiants qu’on trouve.
Les arts se font arbitrairement. L’amour, qui serait à inventer, se fait arbitrairement.
Mais nous approchons d’un nouveau monde de sensations et d’actes où tout deviendrait important.
L’idée même de durée doit être détruite.
Délibérément au delà du jeu limité des formes, la beauté nouvelle sera DE SITUATION.
Tu témoignes, contre tous les policiers du temps perdu, que le plaisir était de ton âge.
(février 1953)
Guy Debord
Revue Pli, numéro 05, 2016