Des oiseaux

comme un vol criard d’oiseaux en émoi,
tous mes souvenirs s’abattent sur moi,
s’abattent parmi le feuillage jaune.

Des oiseaux.

À la radio ce matin.
La radio sonore où un bioaccousticien à qui il reste [un] peu de voix. Parle.
Apparemment, on n’entend plus les chants des oiseaux dans plusieurs endroits de la Terre.
Apparemment, c’est le cas partout d’ailleurs, ou presque, ou bientôt. C’est progressif.
Silent spring. « Tout est devenu terriblement sec. On n’entend absolument plus rien.
Il y a ici et là un oiseau mais le souffle de l’ensemble est parti ». Plus d’oiseau donc, ne soyons pas farouches : ils ont disparu.
Depuis dix ans.
Cela doit faire dix ans…

Il a environ dix ans… mais il n’a rien noté et sa mémoire n’est pas si précise. Peut-être dix ans oui, à peu près.
Il court au fond d’un espèce de coteau comme on peut facilement se figurer un coteau : la petite rivière au fond, gris-marron, la sente qui la longe, les fourrés partout autour et le soleil de l’hiver qui perce parfois les arbres qui sont partout. Silent spring or sonorous spring ? Il ne se souvient pas des bruits. Le corps-machine-mécanique court. À sa droite, un bruit comme celui d’un rat ou d’un renard qui bouge. Le fourré, le buisson, le hallier bougent à mesure que court le corps-machine-mécanique. Et le bruit sort à la verticale. Le sonore devient mouvement quand la buse explose de ses fougères. « Émanation de la terre, des feuilles arrachées à la terre et qui jouent en s’élevant. Leur plumage moucheté, clair, pourquoi si beau ? »
Vol à hauteur du corps pendant dix mètres, cinq secondes, huit foulées cinq battements d’ailes. Disparition, enfin.

Le sonore qui devient mouvement. Martinets du printemps.
« Sifflements, fusées infatigables, en escadrilles. Noirs comme de la fonte, des outils de fonte. Pratiquement sans pattes. »
Dans les cours, entre les immeubles, pendant que les couvées criaillent sous les toits, les adultes se ruent dans le ciel d’orage de la grande ville. Se jettent dans les nids. Repartent. Se cherchent. S’accouplent en l’air. Se séparent. Disparaissent. Dans tous les sens et sans relâche, jamais.
Apparemment, le silence du printemps avale aussi les martinets.
Dans la lumière noire et chaude de l’orage.

Fut un temps AREVA creusait des mines d’uranium en France – puis fut venu le temps de les abandonner.
Carrière. Tu débouches. Par hasard. Sur un étang. Inattendu. Les grilles « danger de mort » protégeaient donc un lac à la couleur étrange : à la fois bleu-noir comme un lac de montagne, à la fois bleu-turquoise comme… ce n’est pas ça ! C’est la phosphorescence. À la fois sombre et phosphorescent. Pas un souffle pour troubler la surface. Aridité et silence autour : le lac aspire la lumière, les sons ; décor étrange. Trois hérons comme pétrifiés, aux abords de l’étendue. Trois hérons de cendres et pas un mouvement. Trois échassiers gris immobiles. Leurs regards semblent converger vers le centre noir de l’étang. Ils ne bougeront pas de tout le temps où tu auras été là mais, lorsque tu repasseras les grilles, tu verras trois longues silhouettes aux gestes amples disparaître au loin.
Et le mouvement, alors, deviendra sonore.

Alexis Priou
Revue Pli, numéro 10, 2019

Pli n°10
Écrit
Alexis Priou