j’imagine une scène à bâtons rompus
une scène fictive sans planches ni tréteaux
mais une scène où l’on rompt du bois, où l’on met en morceaux de l’homme,
une scène de fiction où l’on casse de l’homme en tapant dessus avec du bois,
où l’on rompt le bois en brisant les membres, où l’on démembre à la volée,
à volée de bois vert, ou autre,
où l’on génocide à coup de bois comme si c’était des haches,
des haches avec lesquelles on brise de tout bois les membres de l’humanité
sur cette scène, gare aux mots
on n’y passe pas à tabac, on tabasse
on tabasse en temps,
un seul mot qui circule par rebond et crépite mat sur les cotes cassées,
frac-tu-ré, en trois temps, ça ricoche,
ça débite de l’homme comme à la scierie le bois,
ici on scie du bonhomme, il y a du sang sur la lame,
on dénombre du pied, on rime, on césure,
on hémistiche aussi,
ici on décime à la volée, à la volée de vers,
sur cette scène sans tréteau ni planche,
on abat de l’humain comme si c’était de l’arbre,
de l’arbre dont on ne voudrait plus,
de l’arbre dont on ferait les planches, les billots ou encore les manches de haches
dont on ferait le bois avec lequel taper sur l’homme
j’imagine un crève-coeur qui opère en toute acrimonie
qui accroît les gutturales et aiguise les lacrymales
c’est qu’avec le son sang on fait saigner les hommes, on fait sonner leurs membres,
on les bastonne au bois de la hache, au bois qui bat, au sang des tempes,
on les dissout à l’aigre acide du génocide
on les démembre en les nommant
cette scène, je l’imagine et je la nomme avec des mots,
parce que je n’ai que ça sous la main
et parce qu’il n’y a que des mots pour faire ça,
pour imaginer n’importe quoi,
n’importe quoi d’inimaginable ou d’indicible ou de réputé tel, avec des mots,
il n’y a que les mots des hommes
pour dire l’homme qui met l’homme en morceaux,
le lamine systématiquement, le hache menu en tapant dessus avec du bois,
j’imagine une scène où l’on réduit de l’homme en poussière,
de la poussière de monsieur madame, de la sciure d’humanité
c’est en tout cas ce qui s’y dit
dans les faits il reste toujours quelques morceaux plus gros que les autres
sur scène c’est de sable dont il est question, mais ce n’est que prétention
forfanterie de l’homme qui raconte,
forfait des mots de celui qui dit ses forfaits
quand on tabasse de l’homme, il reste toujours de l’os
sur cette scène on articule les mots de l’homme mis à mal,
de l’humanité mise à bas
les mots des membres désarticulés, des articulations luxées, des os fracturés
les mots qui font mal à ceux qui ne sont pas faits du bois dont on fait les maux,
du bois des manches, du bois des haches,
du bois que l’on brise sur le dos des hommes que l’on casse
j’imagine une scène de membres brisés, de bâtons rompus,
une scène fictive de mots prisés
cette scène je vous la nomme,
cette scène je vous la vois
Johan Grzelcyk
Revue Pli, numéro 03, 2014