Ex-voto


52 RAPPELS DE BASE
ET AUTRES VŒUX PIEUX


comme aide-mémoire ou semainier
pour quelques hirsutes, hydropathes,
fumistes, zutistes, incohérents, vilains bonshommes, situationnistes
et autres mal-pensants
pré, post ou péridadaïstes.
(tout ça également au féminin, bien sûr.)



1 Qu’il soit une bonne fois entendu que l’ART n’a pas de public : il a un horizon d’attente.

2 L’ART ne saurait être pour tous, mais pour chacun qui intimement l’espère.

3 En cela, l’ART est profondément élitiste puisqu’il s’adresse à ce qu’il y a de supérieur en chacun.

4 L’ART ne se diffuse pas. Pas plus qu’il ne se ventile, se volatilise ou se vaporise ni ne se consomme.
Même le plus mégalo de ses propos, est affaire de confidence. De toi à moi, si tu le veux bien.

5 La culture tente toujours d’interférer dans l’ART pour le modeler,
l’influencer et le dévitaliser au profit de la pensée dominante.
L’ART, tant qu’il est vivant, ne peut donc s’acoquiner à la culture sans se perdre irrémédiablement.
Ce qui ne signifie pas que l’artiste, lui, doive être inculte ni refuser les oboles publiques.

6 La culture est la dépouille de l’ART, au mieux son fantôme.
C’est ce qui reste quand a disparu ce qui l’a fait être.

7 L’animation est le nom politiquement correct donné à la branlette nécrophage des petits asticots de la culture.

8 Ceux qui prétendent aimer l’ART, mais ne savent pas faire l’amour aux artistes, sont des animateurs.

9 L’ART ne se vend pas, il est dû à chacun.
Vendre l’ART est aussi ignoble que vendre la justice ou les sacrements (encore que ça…).

10 L’artiste ne reçoit pas le prix de son œuvre, mais une compensation.
Cela n’empêche nullement qu’il soit, assez fréquemment,
un prostitué qui se vend au plus offrant ou à ceux qui le caressent le mieux dans le sens du poil.

11 Une galerie est un passage couvert où “travaillent” habituellement les putains et les pickpockets.

12 Toute pédagogie de l’ART est une imposture.
Tout au plus peut-on tenter de faire partager sa propre expérience de la vie ou de la matière
et ça n’est déjà pas si mal.

13 L’ART n’est pas un jeu d’enfant, n’en déplaise aux éducateurs.
Il n’a rien à voir avec l’éducation, le dressage, la coercition ou l’aménagement du temps libre.
Il sème le trouble, attente à l’ordre du monde, ricane aux enterrements,
regarde sous les jupes des filles et dans la braguette des garçons, instille le désir,
la rébellion et pose bizarrement des questions dont nul, en général, n’a envie de connaître la réponse.

14 Emmèneriez-vous vos enfants au bordel ou sur un champ de bataille ?
Si oui, pourquoi ne pas les emmener au musée le dimanche ou à la cinémathèque ?
Ce n’est pas forcément moins dangereux ni mieux fréquenté .

15 L’ART accepté ou loué par ceux qu’il est censé déranger a toute chance d’être un ART raté.
La récupération est habile, les malentendus sont plutôt rares et “le système” toujours beaucoup plus malin qu’on ne le croit.

16 En fonction de quoi, on peut dire qu’en ART le succès est toujours mérité. L’insuccès aussi, bien sûr.

17 Si l’ART est mort, comme le proclament certains,
ce ne peut être que de rire devant les institutions et certains prétendus “artistes”.

18 L’ART bouse, l’ART casse, l’art chie, l’ART mord, l’ART gent, l’Art lequine…
Et vous fait bien d’autres choses encore que vous n’imaginez même pas.

19 Si l’ART est essentiel pour l’humanité et pour l’homme,
certains dussent-ils y perdre la vie,
il est sans importance, voire dangereux, pour la société ;
d’où la tendance générale à ne le considérer que comme une question de prestige,
de jeu d’agrément et de décoration.
Ce qui est un moindre mal quand on y pense.

20 L’ART triche. C’est sa grandeur et sa force.
Il n’y a que les consommateurs imbéciles pour croire à l’authenticité de l’ART.

21 In fine, même lorsqu’il s’agit du plus innocent des paysages, l’ART ne traite toujours que de la rébellion,
de la mort et du sexe, toutes choses inacceptables par une société “comme il faut”.
Il n’y a pas d’ART sans rapport violent et amoureux à l’Autre.

22 Mais contrairement à l’orgasme attendu, l’ART ne soulage de rien.

23 Quoi qu’il en soit, malgré quelques points communs,
l’ART est loin d’être aussi réjouissant que la chair,
mais on peut le pratiquer plus longtemps sans crainte du ridicule.

24 C’est sans doute en cela que L’ART n’est pas un métier.
Certains disent que c’est la Révolution par d’autres moyens ou que ça n’est rien.
Le plus souvent, ça n’est pas grand-chose, mais un pas grand-chose essentiel,
même lorsqu’il est évidemment mauvais.

25 L’artiste est entièrement libre, y compris de se prostituer et de tenter d’assassiner l’ART.
Il ne fait alors que se suicider debout et, pour chaque artiste mort,
dix autres sortent aussitôt de l’ombre (sans préjuger de leur qualité). D’où, sans doute, l’inflation actuelle.

26 Alors qu’il demande fréquemment d’immenses sacrifices,
l’ART s’offre presque toujours et profondément, comme une affaire de vanité. Ce ne peut être que par pudeur.

27 Ce qui compte le moins en ART, c’est pourtant l’artiste.
Ce que les gens appellent le “don” n’a pas la moindre importance, néanmoins, on ne peut faire sans.

28 L’ART finit toujours par coucher dans le lit du pouvoir qui pense ainsi s’offrir une caution,
sans se rendre compte que ce qu’il étreint alors n’est déjà plus qu’un cadavre.

29 En ART, tout a été déjà fait, pensé et dit depuis longtemps.
C’est ce qui fait qu’on peut toujours continuer à faire du nouveau sans crainte.


Alain Fleig
Revue Pli, numéro 01, 2013

Pli n°1
Écrit
Alain Fleig