Ex-voto (suite et fin)

La première partie du texte
a été publiée dans le premier numéro de PLI.


52 RAPPELS DE BASE
ET AUTRES VŒUX PIEUX

comme aide-mémoire ou semainier
pour quelques hirsutes, hydropathes,
fumistes, zutistes, incohérents, vilains bonshommes, situationnistes
et autres mal-pensants
pré, post ou péridadaïstes.
(tout ça également au féminin, bien sûr.)


30 Dans l’ART comme dans la guerre, au bout, il n’y a toujours que des cadavres et quelques anciens combattants.

31 Un artiste est toujours ou mort ou en devenir.
Ceux qui sont bien installés dans le présent sont très rarement de vrais artistes.

32 Quand l’artiste commence à ressembler à son client, l’ART signe son propre permis d’inhumer.

33 Même lorsqu’il paraît sinistre, l’artiste rigole de lui-même, de vous et de nous.
Se foutre du monde avec dilection est ce qu’il a toujours fait de plus sérieux.

34 Si l’artiste avait voulu dire ceci ou cela, il l’aurait dit, n’étant pas plus con qu’un autre.
S’il l’a peint, sculpté, photographié joué ou filmé, c’est que c’était, pour lui, le meilleur et le seul moyen de l’exprimer
et il n’appartient à personne de trahir sa pensée avec des mots qui ne sont pas les siens.

35 Les critiques cherchent à comprendre pourquoi ils ne comprennent rien là où il n’y a rien à comprendre,
mais assurent toujours, néanmoins, avoir parfaitement compris.

36 Discours de vernissage et éloges funèbres appartiennent au même admirable et vain sous-genre littéraire de sous-préfecture.

37 Pour la communication, l’ART est affaire de politique.

38 Pour la politique, l’ART est une question de communication.

39 L’ART n’est concerné ni par la politique ni par la communication.
Il vomit, jouit, fait pipi et caca (et même se retient parfois) là où il en a envie sans avoir à se justifier ou s’excuser.

40 Un jour, bientôt sûrement, il n’y aura plus d’ART et nul ne s’en apercevra puisque les critiques continueront d’agiter le cadavre pour se persuader eux-mêmes qu’ils existent encore, sans s’apercevoir qu’il y a déjà beau temps qu’il s’est vidé sur eux.

41 En ART, il n’y a que des célibataires : amants, maîtresses, clients ou voyeurs.
Tous exhibitionnistes et mis à nu. C’est sans doute en cela qu’il est toujours une aventure collective.

42 Si l’ART copule fréquemment avec le sacré, l’histoire de l’ART n’est pas une histoire sainte et les images pieuses y sont faites pour être régulièrement polluées, déchirées, piétinées et remplacées.

43 L’ART est une idée confrontée à une matière qui résiste, plus quelque chose d’autre (peut-être un simple clin d’œil) qui crée le désir entre les deux.

44 Le dépassement de l’ART ne signifie pas qu’il y ait quelque chose de mieux après l’ART,
mais que celui-ci tend enfin à (presque) se confondre avec la vraie vie.

45 L’ART, comme le rire, l’amour et la Révolution, ne puise son universalité que dans l’intime, le local et le particulier.

46 C’est dans le vécu que l’ART trouve sa seule légitimité.

47 Tirer somptueusement son coup ou jouer une belle partie d’échec ne saurait néanmoins suffire
à faire de chacun qui le prétend un artiste. Légitimité n’est pas finalité.

48 Seul un ART digne de ce nom, puissant et libertaire comme la vie, peut empêcher la déroute générale de la pensée devant une fausse culture médiatique, libérale et commerciale, prête à consommer, et le triomphe absolu de la barbarie qui nous guette.

49 L’ART est chez lui au bordel. C’est à une putain d’Arles que Van Gogh a offert son oreille coupée. C’est pourquoi les bourgeois font des reproductions de ses œuvres pour décorer leurs toilettes et les couvercles des boîtes de crottes de chocolat qu’ils offrent en souvenir à Noël ou à Pâques à leur progéniture, leurs femmes ou à leurs maîtresses qu’ils imaginent, comme les croûtes qui ornent leur salon, être leurs propriétés.

50 L’ART au musée, c’est comme le sport ou le sexe à la télé. L’esthétique libéral prend l’art en otage, feignant de favoriser une nouvelle culture, mais qui, comme pour le sport (et sans doute le sexe), ouvre en grand les portes à une nouvelle violence aussitôt retournée contre celui-ci.

51 Il arrive néanmoins que les restes de l’ART décorent plus ou moins agréablement les murs désespérants des musées.
Cela n’en fait pas pour autant des bordels. Ce que certains regrettent assurément.

52 Le plus insignifiant des cacas, oublié sur un recoin de cimaise, voire mal reproduit sur un écran de télé (beurk !), peut toutefois receler une puissance révolutionnaire et vitale insoupçonnée. Ce n’est pas tant l’œuvre en soi qu’une question de (mauvaise) rencontre, tant qu’il est encore possible d’en faire.

Alain Fleig
Revue Pli, numéro 02, 2014

Pli n°2
Écrit
Alain Fleig