Fragments

Mon pas lent est invariable. Je ne parle pas. À la mesure des saisons.

Je tire. Je terre. Je tisse. Chaque boucle est une pause.

Le retour à la ligne. L’inverse du sens. Mon semblable frêle ramasse, cueille.

Il se plie, petit. Courbe sous la branche, fait des tas. Poursuit.

Nous croisons les mêmes habitudes. Amasse.

Et la rythmique des champs. Perpétuel, condition, mouvements, saisons.

Rien de clair, hors mis la boucle.

Nous tournons dans le temps nous retournons la terre.

Nous nous mêlons au monde comme à la chaîne.

On entend encore le bruit de la toux. Un ciel gris poussière. Air huileux et collant. Vent solide. Une toux grasse et épaisse, à chaque effort c’est un organe qui se décroche. Nous sommes à porté de tous. Nous comptons les absents. On fait des tas. Nous avons les gueules. Un tas de trous. Porté par le rire d’autrui. Nous et le langage à portée. Celui qu’on dit. Qu’on chante en cœur. Jusqu’à la fin. On a le langage dans la main à porter et le fusil dans la bouche. On parle dans le trou de la distance. On parle le langage des trous. On vise la langue. On se déploie. Nous sommes dans la boue. La boue est en nous. Dans son manque. Nous nous engageons dans le trou comme dans l’avenir. Nous sommes à porté de la langue. On appuie. On s’épuise. On creuse. On va chercher. Rien n’y fait. On s’y est mis. On s’y est fait. On a tiré. On s’est démis. Démissionné. Nous y venons. On n’a plus rien. On nous a dit. On nous a. On nous a eu. On a bien ri. On est bien seuls. On s’est éteint. On est bien. On a fait feu. On s’est étreint.

À vie. Je combattre. Me cogne. Aux possibles et droit dedans. Bastonne le quotidien. Je combattre. Étouffe le jour qui vient. Qui cogne. Un gros coup de vie. Une branlé au reste. Je combattre. Latte la nuit qui passe. Rentre dedans. Cogne. Je combattre. Contre et pour les contres. Direct. À pas moyens. À poids des mots. Je combattre. Lourd. Deviens mouvant, cogne l’eau. Suis liquide. Mur. Je combattre. À vie.

À boue portante.
On est dans la boue. La boue est en nous. Nous sommes lourds écrasants, chargé de siècles. Force de trop s’estompe, nous avons l’envers. Nous broyons la lumière. On est ombré. Tout tombe et nous faisons face. La boue nous porte et nous la portons. Comme une mise en bouche étouffante. Nous avons ôté le fer des sillons. On collectionne le fer, on échange le fer, contre le fer. Nous ne voulons rien quitter. Au matin pourtant tout change. Et revient. Les soutes, les chaînes, les chiens, les chars. Comme dans l’image mais en bruit. Nous fardeaux. Nous en ligne. Nous en chiffre. On coincé. Nous l’histoire. On passé. Le temps déborde, en fuite la vie. Vous ignares vous séniles vous canins. Nous la boue puis plus rien. On est bœufs aux yeux loin. La poudre en bouche, à boue portante.

La terre l’épuisait et il épuisait la terre. Ces constellations de cris mêlés. Ces nappes berçantes. Ce faux silence c’est la grâce qui plombe. Fulgurance, au matin c’est la glace qui tombe. Il avait ouvert la porte de l’autre monde . Celui où certains se perdent. Il avait ouvert la porte seul. Affronté ses cents visages changeants, son propre reflet moqué. Affronté l’image tournante de ses démons. Tout petit, témoin de son temps. Témoin de la chute possible des siècles. De l’écroulement des formes.

Dans le tout petit salon de sa nuit il se lève et prend son tout petit déjeuné. Il
repense à la nuit qui n’est pas si loin il se dit que la nuit hélas n’existe plus. Il se demande d’où ça vient le matin d’où ça sort tout ça il se tient là. Il choisi d’être triste ce matin. Dans son tout petit fort intérieur il est assis il s’assoit à l’intérieur de lui pour essayer d’y trouver les restes de sa nuit. Ce n’est pas le sommeil qui se poursuit ce matin c’est bien sa toute petite tasse devant lui qui fait dire que ce n’est pas le sommeil qui manque qu’il se dit. Mais quelque chose ne va pas quelque chose est resté de la nuit la nuit n’est pas passé pas tout à fait. Ce matin c’est décidé il laisse tout tomber de la tasse et du petit tout qui fait corps en lui. Chaque chose en son temps se dit-il mais lui n’en n’a plus. Il n’a plus le temps de voir le jour pas l’envie ni la tasse ni la nuit. Quelque chose est resté. Ce matin il a décidé de boire sa tasse sans y penser. De ne pas y aller. De boire la tasse. C’est un tout petit jour qui se lève sans lui. Un gris sans raison, la nuit n’est pas si loin.

Elle exhorte sans savoir le mot elle – C’est la révolte la vrai la révolte des droits la révolte au bout des doigts le voltage et le plasma c’est – Elle assure qu’elle est entité elle assure qu’elle non n’est pas image comme – Mais le mot c’est rattrape et on oublie le sujet devant le tu et tout ce qui suit – Elle s’insurge contre elle – elle se suit

Je viens de lire que cette jeunesse n’avait aucun avenir, qu’elle n’en voulait pas. Je viens de lire que cette jeunesse n’avait rien à perdre. Sauf éventuellement la vie. J’ai vingt-sept ans. Je ne sais pas ou je me cache.

Nous étions silencieux, profonds, derrière le regard. Écrire serait donc travailler dans l’absence, avec l’absence. Notre cœur était enfant. Nous avons été porté par l’illégalisme. Porté mais dans l’ennui. Il n’y avait rien. Deux cités d’une campagne ouvrière et agricole perdues entre deux champs. Nous n’étions rien. Nous n’avions rien. Il fallait étudier les cailloux de prêt et les fourmis. Très tôt les explosifs ont remplacé les bonbons. C’était un jeu. Le jeu de l’ennui. Je ramassais méticuleusement l’herbe sèche entre mes mains. Mes mains étaient en râteau pour ne ramasser que l’herbe sèche. Puis nous faisions un petit puis avec la matière sèche, la matière morte, avec notre ennui. Nous faisions un puis à l’intérieur duquel on brûlait, le papier des explosifs. Le petit puis prenait feu. Le feu prenait bien. À l’intérieur de nous notre ennui. Nous avons grandi. Et le feu aussi.

Marcher droit, un pas puis l’autre, poser le pied, sol, poser le corps, un devant l’autre, respirer, respirer hors société, respirer parmi les arbres, avancer, s’arrêter, deux pieds fixes au sol droit plat main long de corps poches, respirer, lever la tête, respirer encore, à bras en poche, se tourner, se tourner vers soi, puis se répandre, se quitter, s’envahir, marcher en étant débordé du monde à venir, penser au bout de la position des mots, secouer un arbres, secouer encore, crier à l’arbre, le bout de la position des hommes, soutenir le pas, les herbes molles, les feuilles rouilles de la lumière, les feuilles rouilles du temps face au soleil, chaque claque de goutte suspend au temps, patiente, baisser la tête, la rouille mute en gris, le soleil brûle le fond de l’œil, le sol est gris par le regard, la lumière disparaît, revenir sur ses pas, revenir sur les pas de l’autre, faire le tour, poser le sol à ses pieds, supposer le corps devant l’autre, respirer, respirer hors société, respirer parmi les arbres, avancer, se déposer, là, se déposer entier.

Je fais des allers et retours. Je ne suis pas la nature. Je ne peux pas la suivre. Je suis allergique à la nature. Je est un prétexte. Je fais des tours. Je tourne. Je ne suis pas naturel. Mon comportement est perturbé. Je tourne autour. Je fais des boucle. Je bouche. Je boucle. Je reviens. Je fais ce geste perpétuel. Je ne suis pas nature. Mon corps est contre nature. Je me vide. La nature me rend malade. Entre la graphie et le verbe j’incante. Je fais des ronds. Des rotations. Je vais sans fin. Comme le temps. Je reviens. Je creuse, sillonne. Un geste perpétuel. Un langage. La nature me repousse. Tout ce qui se développe m’écrase. La nature est mon inconfort. Je suis dans l’insupport. J’éternue. Je me vide. Je me vide de l’air je me vide de l’eau par les naseaux je me noie. Il n’y a rien de naturel à se noyer de l’intérieur. La nature m’empêche de sentir. Quand j’aspire j’expire. Je ne peux rien prendre de la nature. Je ne peux que rendre à la nature. Me rendre à elle. Si je sors je m’enferme. Elle m’étouffe. Je l’envie. Elle me vente. Je m’assèche. La nature me gratte. L’air épais et lourd, l’air granuleux me gratte. L’eau me brûle elle me plaques. L’eau est ce corps incandescent en moi. Je voudrais m’éteindre. Mon corps et la nature ne font pas bon ménage. Je me tiens à distance. Je suis à distance de la nature. Mon corps fait chambre à part. La nature partout me gratte. M’irrite. Je peux émettre et recevoir mon propre poison. Je ne suis pas étanche. Je fais des boucles dans le temps et dans l’espace. J’oublie le corps impossible. Je ne m’arrête pas. Je porte en moi un lieu à risque. Je supporte. Je boustrophe en un sens je lasse puis dans l’autre. Je vais, je viens. Comme un chant. Je renifle, respire, fragmente. Vivre ça ne va pas de soi. Je porte le courant dedans. Je suis contre-nature.


Justin Delareux
Revue Pli, numéro 03, 2014

Pli n°3
Art graphique
Écrit
Justin Delareux