Les morts reviennent quand il pleut.
À Tarnac il y a un cimetière qui s’est vidé il y a longtemps.
Ce mur de pierres, cette pelouse un peu trouée, ce sol inégal, ces chapelles en ruine, ces outils rouillés, cassés.
Quand je dis « boire un oiseau », « manger un poisson de source », « aller
vers un arbre », je parle du déplacement des choses et des clos, des mystères du glissement des choses, des animaux, des plantes, des cailloux, du déplacement et du glissement de tout, et de la formation invisible des pentes, et du travail de l’eau, du ruissellement et de la pénétration des pluies,
je parle des meules et de ce qui reste du moulin auprès de la rivière, du cimetière qui a glissé et s’est vidé il y a longtemps,
et je dis que je reviens, que je deviens, ici,
et je sais que chaque ligne est la mémoire d’autres lignes, que chaque corps est la mémoire d’autres corps, j’attends que le vent efface mon visage, j’attends l’effacement.
Des événements lointains et préparatoires. Des pressentiments, des attentes. Des commencements incertains. En pénétrant dans le jardin par la porte-fenêtre, j’ai compris que l’arbre avait changé de place. Ou bien c’était un autre. Le jardin se serait penché vers la droite, il aurait lentement bougé, se serait décalé. Comme le cimetière il y a longtemps, le jardin aurait lentement glissé. Les graviers se seraient entassés au bord. Et je n’aurais pas senti le temps traverser en rafales d’un mur à l’autre, à travers les buissons de fleurs et d’herbes sauvages.
« à peine s’avança-t-il vers le bois, que tous ces grands arbres, ces ronces et
ces épines s’écartèrent d’elles-mêmes pour le laisser passer. »
Les morts reviennent quand il pleut.
Dans ce village, il y avait, près du lavoir, un cimetière qui s’était vidé. Il y a
longtemps il s’est vidé. Il s’est penché lentement, invisiblement, vers le chemin de la rivière. Il pleuvait. Il pleuvait.
Sous le mur de pierres, un sol inégal et troué, l’herbe rare, courte, devenue
grise, au fond les restes de monuments cassés, les fougères, la poussière.
En pénétrant dans le jardin par la porte fenêtre j’ai compris que l’arbre avait changé de place, il avait glissé vers la droite, vers le mur qui sépare le jardin du pré. Ou bien c’était un autre arbre, tout avait basculé sans bruit, comme il y a longtemps le cimetière.
Lorsque je dis « boire un oiseau », «manger un poisson de source », « aller
vers un arbre » , je parle de ces déplacements, des choses, des lieux, des animaux et des végétaux, de tout, de ce glissement invisible, je parle de ce mystère et du ruissellement, de la pluie qui tombe ici en rafales et noie le jardin.
Chaque ligne est la mémoire d’autres lignes, et chaque corps la mémoire
d’autres corps, j’attends que le temps efface mon visage, j’attends la pluie.
Je reviens, je deviens, ici.
Des événements lointains, des pressentiments, des attentes. Des chemins
coupés, obscurs, bordés de ronces, vers ici.
Jean-Marie Gleize
Revue Pli, numéro 06, 2016