on dit comme ça, tu demandes, tu redemandes on dit comme ça,
tu trembles un peu, les arbres, leurs ombres ne te protègent pas
on dit comme ça, ou à peu près
une légende pour chaque jour tu retiens le départ, dites, c’est ça
le souvenir
contre la gravité le corps étrange, dépouilles sur un banc
qu’est-ce que ça peut être la petite cuisine autour
oiseaux rompus à terre, alluvions d’une histoire qui ne
ressemble à rien
dites, on dit comme ça, c’est bien ça
à peine l’œil sur l’horizon qu’en attente, comme dans ce tableau
de Holbein, l’os creux du doute dans une boîte à chaussure
à moins que ce ne soit, dites, on dit comment
toujours à double leurre, tu demandes on dit comme ça, on perd
son chemin, tant mieux, c’est tant mieux si on dit comme ça
à terre, moins assis que déchu
tu trafiques l’espoir, ou à peu près, le temps passe et seul, et on
te sent, on te voit seul, garçon boucher tête en l’air tu sors, muet
soudain, d’un sac de femme, un sac blanc d’oiseau, un dessein
que le réel chasse
on dit comme ça, oui, oui, à peu près
puis tu ris et tu bois, tu bois beaucoup, seul, mais tu te parles, et
est-ce qu’on dit comme ça, et est-ce que déserter ça veut dire
qu’on ne se parle pas, etc., etc., etc.
puis, un peu abrupt, tu te déshabilles, puis tu mâches le silence,
puis tu recommences à boire et à boire et à demander, est-ce
qu’on dit comme ça, on dit comme ça
et un jour, tu ne te rhabilles pas
tu doutes, tutoies la fièvre et la besogne du mot, c’est comme
ça, on dit comme ça, tu demandes, bleu, par exemple, bleu c’est
un mot comme quoi
tu épelles les mots, on dit comme ça, dites, et blanc et parc et
banc et sang, et dans ta tête il n’y a d’avenir qu’une avalanche
de billes, quincaillerie
tu reviens vers le banc, un mot sur les lèvres, corps qui flanche
tu te tournes vers nous, tu as l’air de vouloir dire quelque chose
mais, non, de ton poing serré tu déposes trois petits cailloux à
trois pas du banc vers l’avant, tu regardes tes jambes, ce qu’il y
a d’os, puis tu disparais, c’est ça on peut dire comme ça, tu
disparais, c’est ça, tu disparais
on dit comme ça, c’est ça, dites
c’est ça, oui, c’est à peu près ça
Sacha Niemand
Revue Pli, numéro 05, 2016