Sans date
Juillet 1987 – août 2013. Comme si le
souvenir, « antérieur à la question », ou
le souvenir de la question, était remonté
à la surface de l’écran. Quelque chose de
nocturne ou le tableau noir (Caravage ?),
« la simple surface pleine d’un volume
noir infiniment dense ». Un récit à peine
prononcé, presque inaudible, modifié par
le temps.
Conçu pour réaliser le chant.
———————- Il ou elle s’ouvre. Cette
phrase décrit l’ouverture. « Une fente ».
Mais la description est attendre. Il y a des
fleurs qui s’ouvrent. Au même instant.
Pour décrire il suffit d’un seul mot. Quel
souvenir ? Un mot qui décrivait l’attente,
ou le commencement. Quelque chose
s’ouvre. – Non, avant l’ouverture. Le souvenir
de quelque chose avant. Le silence
d’un seul mot, avant. Un instant de juillet.
Une possibilité nocturne.
Encore une question encore. Celle du passage
d’une vérité froide à l’idée de l’eau.
Il n’y a encore (je ne perçois) qu’une
seule tache au fond de l’eau. Cette vérité
concerne les yeux. Pourtant encore la
question encore. Aucun souvenir antérieur
à la question. Un jour de juillet. Cela,
« quelque chose de nocturne », avant.
Le passage d’une vérité froide à (je le
nomme) : encerclement. Un lieu qui n’est
pas encore. Une possibilité nocturne. Leur
description en ce lieu. Et celle d’un autre
sentiment : rien (rien d’autre avant). Toujours
ils ou elles « absents à leur place ».
Non, la forêt n’a jamais été plus belle.
Ainsi je n’ai jamais pu savoir (n’ayant que
substitué). Plusieurs mots ainsi substitués
à d’autres. A un seul. « Quelque chose
s’ouvre, quelque chose de nocturne ». Quel
souvenir encore ? Il prendra la place d’un
autre. Inscrit pour toujours. Au même instant.
Dans sa chute, avant de disparaître.
Quelque chose alors de ce temps devenu
sourd. Pour elle, devant moi, telle musique.
Je ne sais plus où. Le texte commençait
par un mot : entre. Passage. …
Ainsi le passage. Je suis de l’autre côté.
Où ? Plus tard, entre les branches, la forêt.
Absentes, attentives, comme absents et
absentes à leur place.
(Sans date). C’est elle qui dit : le jour se
lève. Il y a, dans le paysage, un trou. Creusé,
joues creuses. Le souvenir de ces joues
creuses au moment où le jour se lève.
L’eau est au fond. Ce qui reste de noir au
fond.
Je vois le jour entre les deux. Je suis passé
devant et maintenant les touche. Elles
n’ont pas de visage. A l’instant où le jour
se lève. A gauche, un pré, et la bouche,
le mouvement infime de ces deux lèvres
closes. Et le brouillard. Dialogue :
De tête à travers la vitre, s’exerçant à
l’acuité : déjà, un souvenir. C’était la mémoire
qui changeait les mots. Le temps les
avait effacés. – Tu connais cet instant où
la réalité sort de l’eau, réellement imprévisible.
Modifiée par le temps au fond de
ces cuves.
Maintenant le récit commence à l’intérieur
du visage. Je dis que les yeux voient le
jour. Pour qu’ils voient. Pour qu’il y ait le
regard. Et le corps tout entier. Les yeux, la
bouche, le visage, la forme des arbres et
des buissons, modifiés par le temps à l’instant
où le jour se lève : la possibilité nocturne,
le commencement d’un dialogue :
Immobiles en train de tomber. (Sans
date) : c’est elle qui dit « cette musique est
la mienne », « je les vois, elles tombent »,
et : « pour ce chaos qui ouvre la porte ».
Dont la source à l’instant où du lit se lève
un jour en courant, dont les mains sont
ouvertes, dont les paumes sont offertes, –
couchées, « à partir d’ici ».
Je ne suis plus la chose ensevelie. Aujourd’hui,
avec précision. Cet angle droit à
midi : voici la rivière, la Vienne. « Je vais
plus vite que toi ». « Plus froidement ».
Voici aveuglément la rivière à l’angle,
droit ici, tout en bas. En nous, à partir d’ici.
Jeudi. Le chemin que j’ai quitté, avec les
arbres. A des hauteurs différentes. Bras
tendus à des hauteurs différentes. Jeudi :
c’est un sommeil d’arbre. Voici un champ.
Comme un champ d’arbres. (Je ne parviens
à décrire aucun de ses gestes). Il se
lève. Il est debout. Il tourne trois fois autour
de cet arbre. Il tourne ses bras.
Quel souvenir ? Une à une, comptées une
à une… « Données au ciel ». Une (elle a sa
propre mémoire). Sans date : il ferme les
yeux. Le jeu du bois sur lui-même avant
le collier. Le temps passe d’arbre en arbre.
De la jambe gauche à la jambe droite.
Du temps encore. Cela, l’histoire du vis-à-
vis des arbres. La possibilité nocturne.
Le passage du sang d’une jambe à l’autre.
Comme une visite en forêt. Le souvenir
d’un lieu. Les chevilles opposées au
courant. Debout, contre la pente.
On distingue les éléments du jeu : long
comme (un canal), long comme (jambes et
bras donnés au ciel, chevilles opposées au
courant – « gardant la mémoire du lieu »,
noir comme (écluse). Et deux fois le même
arbre, même longueur au sol, même longueur
maintenant vertical, même (…)
Même longueur maintenant droite. Il se
lève, il est debout les bras le long du corps.
Le jour monte à travers les arbres. « Cette
vérité sensible vers laquelle nous allons ».
Division, pliage, pression désormais dans
la trajectoire. Injectée de plomb.
Simplement, ce geste de retourner. Simplement,
parce que la rivière. De nuit en
nuit. Jusqu’à épuisement des nuits.
A l’envers : « Cette nuit, la plus belle ».
Je marche. (Nous marchions et cette nuit
était la plus belle). Jusqu’à épuisement des
nuits. Sans date : c’est lui qui écrit La forêt
n’a jamais été plus belle.
Ainsi, dans la mémoire du dialogue. Elles
se sont levées en même temps que moi.
Les chevilles froides. Vérifiées. A contrecourant.
Un chant, le chant qui te voit.
Les dernières pages de ce journal étaient
presque transparentes, et sur la couverture
du cahier on pouvait lire à l’encre rouge
deux des lignes de la méthode :
Les yeux fermés nous entendons la
musique de tout (objective),
et 8. Nous appelons une révolution
possible.
Jean-Marie Gleize
Revue Pli, numéro 01, 2013