Les casseurs et Un calque

LES CASSEURS

Vis-à-vis des casseurs, je me démembre carrément intégralement totalement, je me vaporise en spray bien loin, je n’ai rien à voir avec tout ça, je suis abyssalement désemboitée vis-à-vis de tout ça, je n’ai rien à voir avec tout ça, je suis tout à fait séparée, je n’ai rien à voir. Je ne vois rien Je suis désintégrée complètement. Je ne les connais pas. Mais qui êtes vous ? Je tenais à faire un rappel. Que ce soit bien clair et limpide. Je veux êtres sûre que vous avez bien compris, je suis sans partage par rapport à tout ça je n’ai pas de rapport de près ou de loin, ni même de très loin. Je suis carrément placide, régulière et géométrique sur l’espace public. Je suis légale. Chaque cellule de mon corps est résolument validée. Je suis inscrite dans ce potelet. Je conglutine dans les pulsations du préfet.

UN CALQUE

Enfant j’étais persuadée que les adultes se voyaient sans avoir besoin de se refléter dans un miroir de merde. Les gens ajustaient pleins de choses sur leur visage et leurs vêtements de merde et pourtant leur corps ne se projetait pas, à aucun endroit, nulle part.
Ils arrangeaient une babiole sur leur nez de merde, un épi de cheveux sur la chevelure, et puis sur les vêtements un bouton à reboutonner, un pli à déplier (ma mère mettait carrément du mascara à l’aveugle sur ses yeux de merde). Ils avaient forcément intériorisé le regard du monde pour pouvoir travailler tout à leur aise sur leur corps. J’avais hâte que ce regard du monde me soit révélé pour savoir en un clin d’œil ce qu’il fallait modeler pour être moi, parfaitement accordée avec l’extérieur.
Ce regard de l’altérité ne m’est jamais apparu et toujours le monde me voit avec une résolution d’affichage mystérieuse, une focale inconnue. J’ai pris des cours auprès de maîtres invisibles. Je jette mon regard contre les reflets des vitres, je vois un mammifère pataud aux joues rouges, avec un museau pyramidal aux narines joufflues. Je vois un sourire de bébé crocodile, des sourcils en poil de nourrisson et des yeux vulvaires à l’iris vitreux de la couleur d’une tique pleine. J’utilise mes outils, mes pinces à chevelure, mes crayons de merde et toutes ces peintures de visage. J’ajuste les pixels de ma figure et le déroulé de mes expressions pour l’accorder avec ce calque que j’ai inventé.

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Revue Pli, numéro 06, 2016

Pli n°6
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