Les gentianes

Plusieurs de ces gentianes
(certaines des choses que je sais au sujet d’Emily D.)

Il disait que ses phrases étaient comme des cailloux, comme des éclats de métal, comme des noeuds de laine ou de coton

Il cherchait pourquoi

Il avait dit que c’était un peu comme ce serpent disparu dans l’herbe
Et comme « un simple cailloutis de sens brisé »

Ces phrases lui séchaient la gorge,

Il la voyait encore ainsi reculée sous les tentures, les draps, portes fermées,
volets clos, et l’épaisseur des murs ne laissait passer aucun bruit, même celui du vent qui traversait les arbres et tous les bâtiments alentour et frappait le long des talus et des palissades

On disait qu’elle était enterrée dans un cercueil blanc, qu’elle avait une robe blanche de coton et un herbier de soixante pages

Elle continuait de prier en regardant fixement à terre

Son cercueil était porté à travers un champ de renoncules, il y avait dans ses mains et sur sa poitrine un bouquet d’héliotropes, des orchidées sauvages et des violettes

Elle disait qu’elle aimait les gentianes et regardait fixement au bord du ruisseau, elle continuait de prier en plissant les yeux, en se concentrant sur la couleur de l’herbe, un vert sans fin, profond, intensément musical.

Elle voulait que ses poèmes n’aient pas de titre.


Jean-Marie Gleize
Revue Pli, numéro 05, 2016

Pli n°5
Écrit
Jean-Marie Gleize