Nos secrets sont politiques. La politique commence par le secret. Avant l’article 1er, avant le vote à main levée, avant les pierres noires et blanches. Il y a la pierre cachée. Et le mot codé. Et la phrase cryptée. Mystique. Le mot imprononçable. Le mot avec des lettres sans voix. Le tracé de bâtons. Les ailerons de requins. Les carapaces de tortue. Compter les chèvres. Retrancher. Résultat secret. Dans la tablette. On va pas dire la cause, on va pas dire la chose, on va la brûler. On va la marquer. Avec des mots masques. Avec un fouet tressé. Des mots poupées. Des mots rideaux. Des mots gigognes. Des mots Zorros. C’est çà, on va parler avec plein de mots Zorros cachés au milieu des régiments de phrases du sergent Garcia. Des mots pleutres. Des mots ivoires. Des mots labyrinthes. Des mots écrins. Des mots armoires. Des mots éléphants. Des mots haut perchés. Des mots opaques. Un paquet de mots obscurs, sans filtre, pour la route. Syzygie. Idiosyncrasie . Sérendipité. Procrastination. Incucurbitation. Datisme. Zététique Vérotier. Mogigraphie. Pour mieux faire passer la loi, l’ordre, le décret, l’ordonnance. Secret de la décision du pouvoir royal la nuit de la Saint-Barthélemy. Le roi a-t-il donné l’ordre ou non ? La Vierge a-t-elle joui ou pas ? Le résultat est un massacre, le départ est un Christ. Nuit du 24 août 1572. Secret de Charles IX. On massacre par saisons. La Saint-Barthélemy est une saison. Secret du monothéisme : on sait massacrer pour un livre. Les huguenots veulent économiser et arrêter de payer pour la chapelle Sixtine. On massacre. La chapelle n’attendra pas. Secret de l’église : trouver un impôt sacré. Grève de l’impôt=blasphème. Secret de Nostradamus : on peut y lire la rédemption ET l’apocalypse. Catherine de Médicis lit Nostradamus à sa manière : biaisée. A Notre-Dame de Paris, Marguerite de Valois épouse Henri de Navarre. Six jours plus tard, on massacre. Secret du mariage : il porte en lui la guerre. Dans la clause secrète, l’alinéa non paraphé. Économie de la guerre et du mariage, même combat. Commandez des menottes, des armes, ça resservira. Plan secret israélien. On massacre par « raisons de sécurité ». On réécrit les droits. Les propriétés foncières. Cartes redessinées. À la loupe et au cordeau. Plan secret palestinien. Clauses secrètes. Négociations du traité transatlantique. On massacre par « raisons de croissance ». Des clauses resteront secrètes jusqu’à leur application. Secrets du monothéisme : la croyance bête en l’unique. Gangrénisation. Cancérisation des cellules. Astrologie stellaire. Ilisibilité des scellés. Le secret n’est pas faux. Le secret n’a aucun synonyme. Secret de Mohamed Bouazizi. La mèche, nous ne la dirons pas, nous l’allumerons. Derrière la porte, les tortures. Jamais vues, sues de tous. Le secret avant le secret de Sidi Bouzid se nomme Redeyef. Grèves de Gafsa. Autogestions. Village tunisien où. Bien entendu, les archives ont été brûlées après la « révolution ». Effroi de savoir ce qui s’est passé. Derrière la porte. Aucun besoin de preuves. Le secret se suffit à lui-même. Nos secrets révolutionnaires. Lotions inefficaces. Les caches qu’on ne retrouve plus. Des visages floutés. Catégories vagues. Résultats tangibles. Je ne ferme je ne ferme pas ma bouche. L’officier a dit trois fois je vous comprends. Ça veut dire rien compris. Le secret engage et ment. Radical et éhonté. Le secret dégage sur son passage. Crée des liens : des armées de bras. Des brassées de secret. Avancer sans prouver. La preuve est l’argument des sots. Concrétude. Pseudonymes efficaces. Projets encagoulés. Secret de la révolution qui n’aboutit pas, de la révolution non révolutionnaire. Secret de la mèche, secret de l’embrasement, secret de l’extinction. Ça se fait, ça se cache : passé. Trois temps, un seul moment unifié par nappes de secrets. Canaux non repérables. La télé croit révéler des secrets. Son projecteur crée de l’ombre. Permet au spectre du secret de s’épandre, se pencher, s’épancher. Enfin des recoins. Des héros ont été nommés, des martyrs listés. Les secrets ont la dure dent. S’amusent des starifications. S’agitent dans les foules sans noms. Ceux qu’on ne verra plus. Dont on ne sait quoi. Qui disparaissent avant les aveux. Il n’y a pas de pourquoi, le secret le sait bien. Le secret est combattif, acharné, têtu – actif. N’a pas besoin de savoir pour décrocher. A besoin d’ignorance, de flou, de vague. Il possède un savoir flou sans nom ni date. Un savoir intuitif dont on ne peut trouver la source. Ne sait pas pourquoi – sait comment. Le secret avance par trous, énigmes, lacunes. L’imprécision lui permet la détermination. La cause est vague mais le couteau s’aiguise. Plus c’est vague, plus ça s’aiguise. Valise du secret emportant les énigmes, les doutes, les manques. Zones d’ombres motivantes. Lagunes opaques. Le secret se méfie des informations. Le secret n’informe pas, il déforme les faits par halo, embrassade, lasso. Je t’embrasse je ne sais pourquoi. Mon secret. Nos secrets, disent les experts, ne sont pas psychologiquement rationnels. Les experts ont toujours raison, ils se trompent à chaque fois. Nos secrets sont énergétiquement relationnels. Captent les ondes. Se trompent pour savoir. Agissent pour connaître. Transforment l’erreur en savoir incommensurable. Secret en contre-champ, face biaisée. En contre-plongée, il comprend. Le profil, l’oblique, la tangente et l’espoir. Le secret ne passe pas à l’écran. Trop flou. Prend le masque de la révélation qui n’est pas le contraire mais son allié, sa manière de désamorcer, désaffubler l’information pour passer des nuits tranquilles. Allez, je vais te le dire. La franchise comme paravent. L’aveu comme leurre. Meilleure protection du secret. Une pseudo-révélation de faite, dix secrets de gagné. Stratégie du don-contre-don. Je te fais une révélation, tu me laisses mes secrets. J’ai rien avoué, je vais pouvoir arroser mes secrets. Merci.
Stéphane Nowak
Revue Pli, numéro 05, 2016