– L’idiotie, le poème neuneu, la poésie au ras des pâquerettes, se mettre plus bas que terre, se mettre honteux, ça c’est quelque chose qui m’a toujours travaillé. Ce n’est pas une régression, c’est dire qu’il y a des désirs cachés qui passent dans les mots, que chacun a sa manière bien a lui de remuer les choses dedans sa bouche, que chaque parole a un secret dedans et que ce ne sont pas que les médias qui savent tout de la parole, de la science à parler, pour moi l’armée noire c’est avant tout une invasion de parole, un rouillement des mots dont on ne veut pas entendre parler, on ne veut pas entendre parler l’enfant en soi, la femme en soi, le faible en soi, le philosophe en soi, tous les en-soi mêlés et qui veulent prendre la parole, toutes les bagarres positives avec l’être et le dehors. […] La poésie dit ça, elle dit le moment où ça peut partir en vrille dans le vivant, seulement le vivant n’y croit pas, il préfère les discours des chefs, des autorités, de l’église, du patronat, il préfère en chier de la publicité et de la morale que de voir qu’il chante à tue-tête dans sa tête à longueur d’année. On ne veut pas croire au fait qu’on est des bêtes à parler et à tournoyer dans la caverne avec des torches allumées dans le noir et qu’on voit rien et qu’on danse, on ne veut rien voir de tout ça bien souvent. Sauf par moment où ça rit de bon cœur avec la pensée qui sort dans la bouche et que la bouche se mette à penser le chant et à livrer ça à l’air libre. Personne ne croit en la poésie, même moi à 95 % de mon temps je n’y crois pas, je suis éteint comme un téléviseur.
On va vivre là
On va s’écraser là
En douce
On respirera ici
On cueillera là
On foulera telle plante
On ira dans les chemins
On se tassera bien ici
Quelque part
Dans un pareil endroit
Vivre ici en fermant telle porte
On se souviendra des jours
Tous les jours passés ici
Tous numérotés
Consignés
On agrafera le tout
On enverra ça promener
On balbutiera quelques phrases
Ici ou là
Histoire de creuser quelque chose
Face aux fenêtres
On passera l’été, l’hiver
On ira boire pas loin
On voisinera des autres
On regardera les routes, les monts
On passera son temps à observer, écouter
On mangera aussi, on fera des petits tours
Dans la forêt, on chassera
Et on se fera tuer
Comme tout un chacun
Mais on sera toujours là
Avec le soleil
La pluie, le vent
Et les saisons entières
A rien savoir
De quoi que ce soit
Et de qui ça vient
Et comment ça repart
Jusqu’à se découvrir enfin le son
D’une bonne pesée de terre
Par-dessus nous
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Charles Pennequin
Revue Pli, numéro 01, 2013