Pia mater

Un policier épais et grand, surmonté de sourcils épais. Un système compliqué de mère foudroyante, qui ne capitule pas. Le visage en sueur, grave, tête baissée. Un policier dont chaque mouvement au-dessus de son bureau ressemble à une grosse vague lente, qui n’en finit pas de grandir lentement dans l’espace, qui n’en finit pas d’en être et d’en finir, qui sème l’effroi dans la mère à chaque fois qu’il serre les dents, à chaque fois qu’il brise l’air en mille morceaux entre ses dents, à chaque fois qu’il vide la pièce de tout son air, à chaque fois qu’il retire l’oxygène à toute chose et à la mère. Un policier qui fait monter la panique et le désastre, qui enfonce l’univers en entier entre les os de sa gorge, se couche au milieu de son visage, où il ne reste plus que l’injuste, le tragique et le froid. Toute sa tête se retrouve aplatie, aspirée en son milieu, formant une grande crevasse de laquelle s’échappe un claquement aigu. La mère respire péniblement. Son visage creusé par le manque d’oxygène se gonfle de chaque côté de cette crevasse et forme un poing boursouflé d’asphyxie et de lèvres. L’air coule comme un jus de ses narines. Son visage devient bleu, la salive se détraque, la raison s’use contre sa rétine, déchire la cornée. À peine un peu de souffle, tout se met à dormir dans la pièce, les choses piétinent. Incrédule, elle fixe la raison qui lui manque, elle fixe la bouillie d’oxygène et de raison qui ondule dans l’air gelé. Tout ce qui s’éloigne, broie, tout ce qui la regarde, brûle, tout ce qui tremble encore, brûle, tout ce qui la tient droite, parle la mort. Un filet d’air couine au milieu de ses deux joues froissées. Elle se déplie comme une feuille. Sa tête baissée tombe au sol, roule chaude et fumante. Elle s’accroupit devant la chaise du policier, appuie sa bouche à la naissance de son sexe. Ses genoux craquent. Elle suce la sueur. Sa poitrine dure s’abaisse. Ils sont peut-être morts, se dit-elle. Il ouvre puis ferme ses doigts, le souffle court. Quelque chose tombe par terre entre eux, quelque chose de détruit. Il n’y a rien dans le ciel.

Dis, dis quoi définitivement. Dis, dis-le moi deux ou trois fois. Éclate et noircis. Je m’en fiche malade moi du lâche l’œil du père la mort. Moi le reste du jour à te répondre chaude déformée défroque sans craindre. Défunte. Dégénération dégauchie. Plus rien regarder. Moi je t’écoute incendiée, ça cloche rien que d’entrer sous ta peau. D’à tant sans bruit d’à donc à penser ne coule plus de quoi nous saigner. D’à donc à penser le fumier qui m’occupe jour et nuit, se tord dans les interstices de ce brave monde stupide, dont les molécules de champion éclatent ma gueule déserte. Sale merde, lève-toi et marche. Je plane en gémissant. Donc voulez-vous m’étrangler, ma tête se vide. Pointent le sang la cervelle et perdre un jour. Il ne s’agit que de, il ne s’est toujours agi que d’une cette seconde, où mes yeux sont devenus la grande histoire où mes yeux sont la seconde où commence l’histoire de ma voix qui ânonne. Réveille-toi, sale merde. Ils m’engueulent. Je ne les entends pas. Vous êtes bel et bien dans un sac. Regardez, dit le médecin, je vais vous montrer. Vous êtes dans un sac qui rampe. Je gerbe des routes par centaine. Je me défends bien, je fabrique des routes. Ces routes n’ont aucune espèce d’importance. Ils veulent que je me sente comme quelqu’un. Ils veulent que je bande. Que je bande à ma place d’homme, ma place d’homme malade, que je fournisse un rendement maximum d’enfants morts, que je participe à l’avènement du cadavre humain. Il n’y a rien dans le ciel.

— Il n’y a rien dans le ciel, lui répond-elle, alors qu’il lui demande de décliner son identité.

A.C Hello
Revue Pli, numéro 05, 2016

Pli n°5
Écrit
A.C Hello